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lundi 1 septembre 2014

Les aliments "bio"

Juan Sánchez Cotán (1560 - 1627)
Nature morte aux fruits et légumes bio

Avoir une alimentation biologique, cela veut dire : se nourrir avec des aliments provenant d’un mode de culture et d’élevage excluant l’utilisation de produits chimiques de synthèse, ou avec des aliments transformés à base d’ingrédients issus de ces modes de culture et d’élevage. C’est donc avoir une alimentation naturelles. On aurait donc dû, tout simplement, appeler les aliments biologiques des aliments naturels, et les aliments ayant subi un traitement chimique de synthèse des aliments traités.
Deux raisons ont voulu qu’il en soit autrement.
Pour faire comprendre la première, imaginons que les tableaux d’un célèbre peintre, dans les galeries, les musées, et ailleurs, petit à petit, aient été remplacés par des faux, sans que personne ne s’en soit rendu compte, jusqu’au jour où la supercherie aurait été découverte. Des recherches auraient été effectuées, et les tableaux authentiques seraient réapparus, lentement, les uns après les autres. Pour les distinguer de la quantité considérable des faux tableaux, on ne se serait pas contenté de dire de chacun d’entre eux qu’il s’agissait d’un tableau d’untel, mais d’un vrai tableau d’untel.
Pour les aliments c’est pareil. Tous traités, ils furent présentés comme identiques en qualité à ceux du passé, jusqu’à ce que leurs effets nocifs soient connus de la majorité des gens. Les aliments n’ayant pas eu affaire à la chimie de synthèse commencèrent alors à réapparaître, mais en quantité si petite comparée aux aliments traités qui représentaient la quasi totalité des aliments vendus, qu’il fallut les différencier en spécifiant qu’ils étaient naturels, "bio", car la norme était devenu le chimique, comme si il en avait toujours été ainsi. C’était le nouveau repère de base, duquel devait se distinguer l’alimentation non traitée, alors que cela aurait toujours dû être l’inverse.
Quant à ce mot : "bio", pour parler de la deuxième raison permettant de comprendre pourquoi celui-ci fut employé pour désigner la nourriture naturelle, il ressemble étrangement à un mot trouvé par une agence de communication payée par des industriels tant il paraît peu naturel de nommer ainsi une chose naturelle.
Bio, ça fait avant-gardiste, comme tous ces mots, souvent anglais, que beaucoup se plaisent à employer par snobisme.
Manger des aliments naturels, ou manger des aliments traités, voilà une façon de s’exprimer sans manières, vraiment naturelle. Moi-même, qui fréquente les magasins "bio", j’essaie le plus souvent possible d’employer ces mots-là.
J’ajouterai que vouloir manger des aliments naturels c’est vouloir manger les aliments tels qu’ils étaient autrefois, sauf que dire ça, c’est risquer de faire passer l’homme moderne avant-gardiste pour un réactionnaire – avec tout ce que cela représente de négatif à ses yeux. Il fallut donc emballer l’objet ancien dans un mot nouveau, afin de lui faire croire, à l’homme moderne avant-gardiste, qu’il était davantage l’inventeur que le récupérateur de ce qui venait du passé, cette façon de faire étant la grande spécialité des bobos. Car il ne s’agissait pas, en effet, qu’il soit vu comme quelqu’un souhaitant retrouver un état ancien, tel un passéiste, l’homme moderne avant-gardiste. Il voulait certes du naturel, comme autrefois, mais sans être confondu avec les méchants primates de cet autrefois.
Au lieu de dire "naturel", ou "authentique", ou pire : "comme avant", "comme autrefois", on a choisi de dire "bio". C’était plus rigolo, plus pétillant, plus "sympa", et donc moins fasciste. Au lieu de risquer d’être réactionnaire, on était progressiste, et surtout malin. Tout le monde, ainsi, restait à sa place : les hommes des cavernes d’un côté, et les êtres supérieurs de l’autre.
Cela permet, lorsqu’on est un moderniste anti réactionnaire, de pouvoir adopter une attitude anti moderniste, puisque réactionnaire, en la déguisant en attitude innovante et donc progressiste.
Ces gens-là seront peut-être vus un jour, souhaitons-le, comme les "grands" inventeurs du comportement naturel artificiel, de l’authenticité fausse.


Laurent Gané
(site personnel)

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